mercredi 9 mai 2007

Le Congo et les médias belges. Le Congo s’invite aux législatives belges



Par Jean-Pierre Mbelu

Le temps est et restera toujours un bon conseiller. De plus en plus, certains belges avalisent les thèses des « ascètes du provisoire » congolais. Il suffit de visualiser la couverture du livre de Jean-Claude Willame, ‘Les faiseurs de paix au Congo. Gestion d’une crise internationale dans un Etat sous tutelle’, pour se convaincre que certains belges ne sont pas aussi dupes que certains de leurs compatriotes politiciens croient.
Sur la couverture de ce livre, il y a deux « faiseurs de paix » dont les discours sont de plus en plus démentis par les faits. Les faits parlant d’eux-mêmes attestent que Joseph Kabila n’a pas été « une chance pour le Congo » comme l’avait prétendu un jour son parrain Louis Michel.
(Le Nord-Kivu où les viols, les vols, les massacres et les pillages attribués à l’opération de mixage de la milice de Nkunda, est un exemple se passant de tout commentaire…Il y a plusieurs autres du même genre.)
Un trio de journalistes belges partage ce point de vue. L’une d’entre eux, Marie-France Cros (M.-F. C.), lors de son dernier séjour au Congo, s’est rendue compte que l’espoir était en train de disparaître.


I. Deux articles à lire à tout prix …
Le 04 mai 2007, ce trio (M.-F.C., Ph. P., S.Vr) a rédigé un article dans la rubrique ‘Elections 2007’ ayant pour titre ‘Le parler vrai de Karel De Gucht’. Voici ce que cet article a comme chapeau : « La méthode du ministre des Affaires étrangères a tranché avec celle de son prédécesseur, Louis Michel. Avec un certain succès, notamment dans la gestion du processus de pacification du Congo-Kinshasa. » (M.-F.C, Ph. P., S.Vr, Le parler vrai de Karel De Gucht, dans La Libre Belgique du 04 mai 2007).


La lecture de cet article est intéressante. Elle pose la question de savoir pourquoi un compatriote ayant décrié en son temps « le parler faux de Louis Michel », François Tshipamba Mpuila, a failli être mis hors d’état de parler de son pays ! Le trio note : « Karel de Gucht aux affaires étrangères, ce fut d’abord un style qui trancha avec celui de son prédécesseur Louis Michel et puis, quelques résultas engrangés. Ainsi sur l’Afrique, et plus précisément le Congo, M. Michel avait prêté flanc à la critique en apportant un soutien marqué à Joseph Kabila, là où la Belgique aurait dû observer une stricte neutralité si elle voulait jouer le rôle d’arbitre et de référence auquel le bouillant ministre MR aspirait pour notre pays. Conséquence, au demeurant prévisible : l’opposition à Joseph Kabila a fait de M. Michel, mais bientôt aussi des belges en général, une des ses cibles- non sans risque de dérapage, heureusement. » (Ibidem. Nous soulignons)


Le temps aidant, il n’est plus gênant, en Belgique, d’affirmer que « le bouillant ministre MR » a soutenu ostensiblement Joseph Kabila. Le temps aidant, les journalistes belges affirment, contrairement à Louis Michel, qu’il y a une opposition au Congo. Le temps aidant, les journalistes belges reconnaissant qu’à cause le « soutien marqué » de M. Michel à Joseph Kabila a eu comme conséquence le fait que l’opposition à Joseph Kabila prenne aussi les Belges comme cibles ! Revenons au trio.


Il note encore : « M. De Gucht (…) s’il a fâché les kabilistes à plus d’une reprise, est très apprécié de la rue congolaise pour le franc-parler qui lui a fait mettre, à plus d’une reprise, le doigts sur la plaie : médiocrité des dirigeants, corruption, usage excessif de la violence pour résoudre un problème…Et si les relations entre M. De Gucht et M. Kabila sont notoirement mauvaises, une part revient en revient sans doute au travail de sape de la diplomatie belge entrepris par d’autres membres du gouvernement, qui s’imagiement dans les capitula d’un ‘Monsieur Congo’ : les ministres socialistes de la défense André Flahaut et le libéral de la Coopération Armand De Decker, qui rivalisent d’indulgence et d’assiduité auprès du maître de Kinshasa. » (Ibidem. Nous soulignons)


Le temps aidant, le trio journalistique belge, pour des raisons électoralistes, dévoile un secret de polichinelle : les parrains belges de la mise sous tutelle du Congo sont : Louis Michel, André Flahaut et Armand De Decker. Mais là où le bât blesse c’est quand, malgré tout le travail de mise sous tutelle du Congo mis en branle par ces trois wallons que le Congolais soit jugé sévèrement par un des membres du trio journalistique belge présentant « un roman, pour comprendre le Congo. »


En effet, M.F.C. relevant les grandes lignes du dernier livre de la belge Lieve Joris met en exergue cet extrait : « Plus je passais de temps au Congo, plus mon regard devenait dur pour les Congolais. Cela me complexait jusqu’à ce que je parle à d’autres Africains, comme de Malien qui tonnait contre le comportement des Congolais. J’essayais de lui expliquer pourquoi ils étaient comme ça mais il n’admettait pas les excuses que j’avançais pour eux, leur oubli de valeurs fondamentales. Cela m’a décomplexée. J’ai vu qu’à force d’être aidés, les Congolais croient qu’ils ne sont plus capables de faire les choses par eux-mêmes et que les autres sont à leur disposition, à tout instant.


Un homme aidé n’est pas un homme sans pouvoir. Le Congolais s’est tourné vers l’aide internationale comme sers le soleil ; il en attend tout, alors qu’il sait se débrouiller. Comme cette aide vient d’ailleurs, il ne s’implique pas pour qu’elle réussisse. Et comme elle diminue la souffrance des gens, ils ne s’organisent pas pour exiger leurs doits, pour exiger que leur gouvernement fasse quelque chose : c’est toujours l’Onu ou une Ong qui s’en charge… » (M.-F. Cros, Un roman, pour comprendre le Congo, dans La Libre Belgique du 04 mai 2007)
Lire concomitamment le texte rédigé par M.-F.C. et ses collèges et la présentation qu’elle- même fait du ‘roman pour comprendre le Congo’ révèle comment une image négative des Congolais (réduit à un sujet collectif) peut être fabriquée. Cette fabrication de l’image négative du Congolais passe par le dédouanement de la part des hommes politiques occidentaux, de celle de l’ONU et de celle des Ong travaillant parfois main de la main avec « les petites mains du capital ».


D’une part, pour des raisons électoralistes, Karel De Gucht est plébiscité pour « un parler vrai » aux antipodes du « parler faux » de son prédécesseur dont le soutien à Joseph Kabila avant, pendant et après les élections n’a été qu’un secret de polichinelle. Sur ce registre, André Flahaut et Armand de Decker sont reconnus, à côté de Louis Michel, comme étant les acteurs d’une diplomatie belge parallèle cherchant à mettre en mal « le parler vrai » de Karel De Gucht. Parrains de « la démocrature congolaise », ils n’ont pas pu, comme le Ministre des Affaires étrangères belge, décrié la médiocrité des dirigeants congolais, la corruption et l’usage excessif de la force pour résoudre un problème. Bref, ils ont soutenu « aveuglement » Joseph Kabila et son entourage.


Cela a conduit l’opposition congolaise à Joseph Kabila à prendre Louis Michel et les belges comme cibles. D’autre part, présentant sans commenter le livre de Lieve Joris, cherchant à comprendre le renoncement du Congolais aux valeurs fondamentales, son inertie face aux dérives de ses gouvernants, Marie-France Cros semble avaliser le point de vue de Lieve Joris liant cette situation au fait que le Congolais « s’est tourné vers l’aide internationale comme vers le soleil. » Ceci expliquant son manque d’organisation.


Donc, si le premier article reconnaît tant soit peu l’existence de l’opposition congolaise, le deuxième soutient que les Congolais ne sont pas organisés. En sus, « malgré les aires qu’ils prends, écrit Lieve Joris, le Congolais n’est pas sûr de lui » ; « A force d’être assistés, ils sont nombreux à penser qu’ils ne peuvent plus marcher. » (Ibidem).


Une lecture concomitante de ces deux articles pousse à revenir sur des concepts tant galvaudés comme celui d’aide. Si l’une ou l’autre Ong peut être citée pour avoir mené des actions salvatrices à l’endroit des Congolais appauvris, « l’aide » telle qu’elle est pensée aujourd’hui par certains organismes dits internationaux constitue un moyen d’anéantir les efforts des pays du Sud conjugués en vue de la sauvegarde de leur droit à disposer d’eux-mêmes. Elle est une forme « civilisée » du néocolonialisme. Moult congolais dont l’imaginaire est habité par une conception mendiante du bonheur ne jure que par cette « manne » de leur esclavage volontaire. De là à fabriquer l’image du Congolais vivant dans ‘l’oubli des valeurs fondamentales’, il y a un pas à ne pas franchir.


Le Congolais, sujet collectif des actes de mendicité, n’existe pas. Il existe une diversité des Congolais dont une bonne partie paie chaque jour le prix de son audace pour avoir mis à nu les mécanismes de prédations concoctées dans les hautes sphères de la politique de certains pays occidentaux et de celles de son pays. L’un des cas les plus récents est celui de Marie-Thérèse Landu. Aussi, la question congolaise n’est-elle pas si simple que Lieve Joris voudrait, à travers M.F. Cros, nous faire croire. Pour les ultra-libéraux, membres des réseaux d’élites de prédation mondialisée parrainant les gouvernants congolais, le Congo ne peut demeurer sur la carte du monde que s’il est connecté aux circuits économiques mondiaux.


Il y a, exceptionnellement, sur cette question de belles pages écrites par la journaliste belge au journal le Soir. Les pages 187 et 188 de son livre intitulé ‘Les nouveaux prédateurs. Politiques des puissances en Afrique centrale’, Paris, Fayard, 2003, sont très éloquentes à ce sujet. L’un des congolais ayant cherché (entre autres) à soustraire son pays de la logique du ‘tout marché’, Laurent Désiré Kabila, l’ a payé de sa vie. Pour rappel, il avait réussi, pendant deux ans, à diriger le Congo sans « la mendicité forcée » par les IFI et leurs actionnaires. Il a été accusé de vouloir pratiquer un marxisme ringard à l’heure de la mondialisation marchande. Les créateurs des rapports de force défavorables aux pays du Sud sont capables d’éliminer physiquement « les mauvais élèves ».
Donc, « beaucoup congolais sont comme ça » et par leur foi naïve en « la manne » et par l’implication des politiques occidentaux dans l’entretien des rapports de force qui leur sont défavorables. Heureusement, il y a et il y aura toujours « un petit reste » qui se lèvera pour dénoncer l’exploitation de l’aide à des fins de domination et pour organiser des structures de résistance à cet ordre cannibale du monde.


Et à ce point nommé, « certains spécialistes occidentaux du Congo » s’intéressent trop peu à ce que font les congolais sur place au Congo et ailleurs. Ils ont sur eux leurs propres appréhensions « des têtes pensantes du monde » ; ils entretiennent des idées qu’ils cherchent souvent à confirmer sur terrain. Ils pratiquent de temps en temps « le coupagisme ».
Les exceptions confirment la règle. Il a suffit dernièrement que M.-F.C. se rende sur place au Congo pour qu’elle fasse un reportage intitulé ‘L’espoir est en train de disparaître » sans qu’elle affirme à travers ce même reportage que « ce faux espoir » était suscité par « le faux parler » de certains politiques belges, soutiens permanents et complaisants de Joseph Kabila. Mieux vaut tard que jamais, dit-on. Au jour d’aujourd’hui, avec ses deux collèges, M.-F. Cros a fini par dévoiler le secret de polichinelle. Elections législatives obligent !


Le plébiscite de Karel De Gucht à la veille des élections législatives n’indique pas que son « vrai parler » a des limites. Il n’y recourt pas quand il s’agit de traiter des contrats léonins signés à l’aveuglette par les gouvernants congolais. Contrairement à l’opinion prédominante au sein de la population congolaise prônant la révision de ces contrats, M. De Gucht pense qu’il ne faut pas y toucher. Sa déclaration faite lors son audition auprès de la Commission parlementaire Belge le 19 mars 2007 est on ne peut plus claire là-dessus. Donc, comme tous les autres ultra-libéraux belges et occidentaux, il est pour la connexion du Congo au marché mondialisé de la prédation. (Lire C. VANDEN DAELEN et D. EKOWANA HIEMO, La pérennisation d’une économie de guerre au profit des investisseurs en R.D.C., dans www.cadtm.org)


II. Des leçons pour l’avenir
De ces deux articles, le deuxième invite les Congolais à se rendre à évidence qu’ils sont vus et jugés. Parfois sévèrement. Le lire entre les lignes permet de se faire à l’idée que la mendicité peut être humiliante. Elle incite ceux et celles qui vous poussent à la pratiquer et/ou qui vous voient vous y livrer à vous traiter comme moins que rien. La mendicité est une atteinte à la dignité humaine. Surtout pour les habitants d’un pays aussi riche que le Congo.


L’avantage qu’il y a à étudier de manière concomitante les deux articles susmentionnés est qu’ils nous permettent d’identifier la diversité des identités des acteurs de la scène congolaise et celle des méthodes dont ils se servent. Il y a des hommes politiques belges mettant en mal la neutralité de la Belgique vis-à-vis des acteurs politiques congolais. Il y en a d’autres dont « le parler vrai » ne dépasse pas les limites de la défense des intérêts du ‘tout marché’. Il y a des congolais dont l’attachement maladif à « la manne » du néocolonialisme retarde l’avènememt des structures locales et nationales de luttes de résistance pour un autre Congo. Il y en a d’autres dont la lutte pour notre autodétermination n’a pas de prix. Il y a aussi le « petit reste » de congolais et occidentaux (belges y compris) qui travaillent ensemble pour le devenir commun des mondes non-marchands, etc.


Sur cette scène congolo-congolais et congolo-belge, il arrive que les médias aient un côté partisan qu’il est parfois difficile de dénicher et/ou d’occulter. Aussi, une lecture attentive de notre histoire commune révèle quelque chose comme une répétition des mêmes scénarios. Il y d’abord un soutien inconditionnel des hommes politiques belges à leurs filleuls congolais aux dépens des Congolais(es). Les médias belges les plébiscitent. Ensuite, les résistants congolais méconnus (ou méprisés) par les milieux belges, avec l’aide de « leurs vrais amis », parviennent, petit à petit, à indiquer la nullité de la voix empruntée. Ou les milieux politiques belges et « leurs amis » se rendent comptent, sans le dire à haute voix, qu’ils avaient opéré de mauvais choix. Ils se confondent en excuses, organisent des commissions d’enquêtes sur les forfaits passés et prouvent la responsabilité de la Belgique dans ce qu’il y a eu. Les journalistes en rendent comptent. Enfin, les jours et les années passent, par amnésie ou par défi, le même jeu reprend. Ainsi de suite.


Cette histoire mouvementée et tourmentée exige de nos « petits restes » un grand attachement à un travail de mémoire partagé avec nos populations pour combattre l’amnésie et mettre ceux qui ont tendance à reproduire l’histoire et à l’écrire à la place des autres (Congolais(es)et/ou Belges) face à leurs responsabilités.
Espérons qu’après Joseph Kabila, un autre Louis Michel ne se lèvera pas, aidé par un autre André Flahaut et un autre Armand De Decker pour parrainer les politiques congolais ! Pour « les veilleurs-protecteurs » de la mémoire historique de nos populations, les chercheurs et « les fouineurs » congolais, un homme averti en vaut deux. Ils devront faire montre de beaucoup d’audace et d’un grand esprit de lucidité quand ils lisent les livres et les médias occidentaux. Ils ne sont pas toujours neutres.


CongoOne , Mise en ligne le 07-05-07

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