vendredi 9 novembre 2007

L’affaire Arche de Zoé et ses énigmes






L’association française « Arche de Zoé » a fait la une de l’information à l’échelle planétaire dans le courant de ces deux dernières semaines. Malheureusement, ce n’est pas pour avoir défendu une bonne cause tel que aimeraient nous le faire croire les membres de cette organisation aux objectifs que nous pourrions aisément qualifier de douteux aujourd’hui, si l’on se réfère à toutes les violations des droits et de la protection des enfants dont elle fait l’objet d’une poursuite judiciaire au Tchad.

Pour rappel, l’Arche de Zoé se présente comme une organisation humanitaire qui défendrait le droit à la vie des enfants victimes d’injustices, de conflits sociaux, ou encore des violences armées tel qu’au Darfour. Sous prétexte de dépêtrer les enfants de la spirale de guerre qui secoue le Darfour depuis plusieurs années, elle aurait concocté illégalement une opération d’évacuation de 103 d’entre-eux dont la majorité sont d’origine tchadienne, vers la France et la Belgique voisine (avec le concours d’une asbl Kiro et Louna), où elle les placerait dans des familles d’accueil qu’elle prétend avoir scrupuleusement sélectionné.

Nous avons essayé de parcourir de fond en comble le site de l’association http://www.archedezoe.fr pour en savoir un peu plus sur son fonctionnement, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il regorge de non-dit. Sur la page d’accueil, on ne donne que la problématique générale des enfants vivant dans des régions ravagées par la guerre – a priori le Darfour -, mais il n’y a strictement rien qui nous renseigne sur la genèse de l’association, ce qui nous paraît pourtant prioritaire. Le site ne nous informe pas du tout sur le mode organisationnel (hiérarchie et attributions, services, mécanisme de collaboration avec les familles d’accueil, partenaires associatifs et publics, projets d’expansion et de développement, moyens de subsistance…), ni sur le siège de l’action (aucun numéro de téléphone, pas de photos), si ce n’est sur les parrains supposés, en l’occurrence Carole Montillet (championne olympique de ski alpin) et Hubert Auriol (héro du Paris-Dakar). On est très loin de l’action « Chaîne de l’espoir » du Pr. Alain Deloche qui livre tous les détails au millimètre près sur http://www.chainedelespoir.org/.


Comment douter dans de telles conditions de l’existence d’un vrai réseau de trafic d’enfants africains coordonné depuis le continent européen ? L’Arche de Zoé et son partenaire Kiro et Louna soulèvent effectivement de nombreux questionnements qui doivent être absolument pris en compte.

1) Qui sont les vrais acteurs de ce trafic ?

2) D’où tirent-ils les moyens d’une telle organisation ? – l’achat des billets et le séjour des bénévoles, location de l’avion, la prise en charge des enfants –

3) Une fois en France, quelles seraient les conditions générales d’hébergement des enfants ? – 103 enfants en une fois dans un seul et même espace, qui plus est, brutalement déracinés de leur environnement culturel, n’est que pure folie –

4) Ce mécanisme d’exode forcé des mineurs, si vraiment raison humanitaire il y a, ne serait-il pas envisageable et plus viable dans les pays africains voisins ou proches du Soudan (Sénégal, Ghana, Nigéria, Burkina Faso, etc.) si l’on y consacre les moyens adéquats et l’on prend les mesures d’accompagnement nécessaires, compte tenu du fait que les cibles ne se sentiraient nullement étrangères dans un environnement socioculturel identiques au leur ?

5) Quelles sont les dispositions qu’auraient prises les autorités de France et Belgique à l’endroit de tous ces enfants sans aucun statut apparent, une fois arrivés sur territoires précités, sachant très bien que de nombreux autres croupissent dans des centres fermés dans des conditions qui laissent à désirer, pour manque de titres de séjour ?

6) La loi de compétence universelle chère aux Belges serait-elle d’application à l’encontre des auteurs de ce trafic négrier qui est véritablement un crime contre l’humanité ?

7) A quel sort auraient été livrés ces pauvres enfants, proies faciles pour un trafic d’organes et les réseaux pédophiles européens ?

8) Quels étaient les critères de sélection des familles d’accueil ? Quel est le contenu des accords qu’elles auraient passés avec Arche de Zoé ? Le processus d’adoption étant fastidieux, ces accords ont-ils été passés au crible par les autorités ou les associations compétentes en la matière ?

9) Quelle est la nature des relations entretenues entre Arche de Zoé et ses tiers (pilote belge, journalistes français, équipage espagnol…) ?

10)Pourquoi le président Nicolas Sarkozi se serait-t-il empressé de se rendre sur place au Tchad pour négocier la libération des hôtesses espagnoles et des journalistes français ? La justice tchadienne n’est-elle pas à même de régler l’affaire en toute indépendance ?

11)En ce 21è siècle, à l’heure où les pays du tiers monde entendent affirmer leur indépendance tous azimuts – économique, scientifique, culturelle, institutionnelle et politique -, les accords signés entre la France et ses ex-colonies au lendemain de la rupture coloniale ont-ils encore raison d’exister ? L’Afrique se doit-elle d’obéir au doigt et à l’œil, sans sourciller, aux injonctions des Occidentaux, entre autre au travers des accords de défense, aux accords de compétence judiciaire… ?

Une chose est sûre, l’affaire Arche de Zoé est bel et bien une offense aux normes internationales en matière de protection des enfants. Une affaire que d’aucuns essaient de minimiser, mais qui ne manquera pas d’avoir des conséquences à long terme. Ce n’est pas un hasard si d’emblée l’Unicef, le HCR et la Croix-Rouge reconnaissent qu’il y a des zones d’ombre dans ce scandale qui méritent d’être analysés minutieusement ; entre autre, pourquoi avoir déclaré que les enfants en voie de déportation étaient tous du Darfour, alors qu’ils étaient pour la plupart Tchadiens. L’Ambassadeur français au Tchad, Bruno Foucher, reconnaît l’illégalité de l’opération du tout au tout. Certains tabloïdes parlent même d’une désolidarisation de la France vis-à-vis de l’association Arche de Zoé, dixit www.lalibre.be.

Les enseignements à tirer.

Tous les enfants du monde entier ont les mêmes droits d’épanouissement et de protection. Nous sommes conscients que l’Afrique est encore le seul continent affecté par des guerres interminables aux conséquences atroces : appauvrissement, aliénation intellectuelle, génocides, viols, maternité précoce, dégradation du tissu économique, exploitation sauvage des ressources minières et naturelles, dilapidation des fonds d’aide au développement, enrôlement forcé des mineurs dans l’armée, séparatisme, etc. Et la raison en est toute simple : la course au pouvoir pour l’enrichissement personnel et les honneurs. Cependant, ce n’est pas la déportation organisée à l’instar de l’Arche de Zoé qui en résoudra le problème.

Faudrait-il dépeupler l’Afrique (continent le moins peuplé du monde) pour qu’elle recouvre sa dignité et connaisse un nouvel élan ? Non ! Bien au contraire. Nous savons tous que la démographie est un facteur essentiel de développement. En revanche, il est temps que les pays développés se mettent enfin à aider les Africains à sortir de l’humanitarisme, car une Afrique bien gouvernée peut parfaitement s’autogérer. Il faut qu’il ait un équilibre des forces, un réel partenariat, un traitement d’égal à égal, d’humain à humain. Plutôt que placer contre le gré des populations des chefs d’Etat qui lui serviront de caisse de résonance pour faire valoir ses intérêts miniers et financiers, l’Occident doit privilégier dans ses rapports avec l’Afrique, le dialogue, la démocratie, la non-ingérence politique, la bonne gouvernance, le commerce équitable, la recherche, le développement industriel et agricole, l’éducation, la santé et la qualité de vie. Ce qui n’est vraisemblablement pas le cas.

Louis Michel, Commissaire Européen à l’humanitaire et au développement a préconisé dans un débat sur Tv5 la consolidation de l’Aide Publique au Développement (APD) en Afrique ; en d’autre mot, céder les fonds de développement intégral entre les mains de ceux-là même qui sont la cause des malheurs de leurs peuples. Cette attitude est une façon simpliste de cautionner la dictature et toutes ses dérives, pour autant qu’on en tire du profit. On comprend très bien pourquoi Joseph Kanambe (Kabila) n’éprouve aucune peine à régner en Seigneur et Maître absolu, près d’une année après son hold-up électoral, au regard de ce mode de parrainage. La situation du Darfour, de la République Démocratique du Congo, de la Côtes d’Ivoire, du Tchad, etc., ne s’estompera que si les Occidentaux cessent de soutenir des scélérats qu’ils ont trop longtemps couvés au pouvoir, en fermant les yeux sur leurs massacres, leurs crimes contre l’humanité, les arrestations arbitraires, les éliminations physiques, la mise en quarantaine des opposants, les érosions budgétaires, la mégestion des crédits octroyés par les institutions financières internationales (Banque Mondiale, Fmi…), l’exploitation abusive des richesses, et j’en passe. Les Occidentaux doivent comprendre que la jeunesse africaine entend mettre fin à la politique de tuer pour régner, voler pour s’enrichir, se compromettre et trahir sa patrie pour pérenniser son pouvoir. Ce n’est que dans cet esprit que l’on pourra mettre fin aux éternelles guerres au Congo Démocratique, Darfour…

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